La posidonie, une plante essentielle aux mers et aux océans

Ondulant nonchalamment au gré des courants, formant de vastes prairies sous-marines, la posidonie est bien plus qu'un peu de vert perdu dans le bleu de la mer. Derrière son aspect un peu rustre de gazon mal taillé, il se trouve qu'elle forme l'un des écosystèmes marins les plus cruciaux du globe, tout en étant un allié inespéré dans notre lutte pour préserver les océans.
La posidonie, une plante essentielle aux mers et aux océans

Commençons par une précision qui est loin d'être anodine : la posidonie a beau pousser dans la mer, ce n'est pas une algue ! Ne lui faites ainsi pas l'affront de la comparer avec ces tout-venant qui pullulent sur nos plages, la posidonie est un authentique angiosperme, autrement dit, une plante à fleurs !

Une plante marine à rhizomes

La posidonie est une plante aquatique aux longues et fines feuilles vertes rassemblées en toupet qui peuvent atteindre le mètre de longueur. Il en existe actuellement 9 espèces connues, dont les principales sont la Posidonia oceanica et la Posidonia australis. La première est endémique à la mer Méditerranée tandis que la seconde se rencontre surtout dans les eaux méridionales de l'Australie.

Cette plante, monocotylédone, s'ancre fermement sur les fonds marins au moyen de ses robustes racines et de ses rhizomes vivaces (des tiges horizontales souterraines). Elle pousse généralement non loin du littoral, dans une eau peu profonde, car elle a besoin de la lumière du soleil pour effectuer sa photosynthèse. Il arrive toutefois, lorsque l'eau est particulièrement transparente, qu'on puisse la rencontrer à 30 voire 40 mètres de profondeur.

La posidonie se développe très lentement (entre 3 et 6 cm par an), mais peut vivre très longtemps. En Méditerranée par exemple, les scientifiques ont découvert au large de l'île espagnole de Formentera un spécimen qu'ils estiment être âgé de 80 à 200 000 ans. C'est tout simplement le plus vieil être vivant de la planète.

Deux façons de se reproduire

La posidonie est une plante à fleurs avec tout ce que cela implique pour la reproduction, à savoir le triptyque "fleurs, pollen, fruits". Sa floraison n'est pas annuelle, mais a seulement lieu lorsque l'eau est assez chaude (supérieure à 20°C). Lorsque ses fleurs apparaissent néanmoins, oubliez les nuances extravagantes auxquelles les plantes terrestres nous ont habituées : une fleur de posidonie est verte et toute minuscule ! En l'absence d'insectes d'ailleurs, ce sont les courants marins qui se chargent de la fécondation. Si elle réussit, la fleur se transforme en un fruit oblong et, là encore, vert. Au bout de 9 mois environ, cette "olive" sera mûre et se détachera, emportée à son tour par les courants. Elle germera alors et formera un nouveau plant si le hasard lui fait atteindre un terreau propice.

Vu l'évident inconvénient de la pollinisation sous-marine, la plante a pensé à développer un autre moyen de reproduction qui est, lui, moins aléatoire : le bouturage. Pour ce faire, la plante utilise ses rhizomes pour avancer dans le sédiment et, en bout de chaîne, produire de nouvelles pousses. Il s'agit d'une reproduction asexuée qui fait en sorte que toutes les nouvelles posidonies qui en résultent ne sont rien d'autres que des clones du premier individu !

Ce clonage est bien entendu le mode de reproduction privilégié de la posidonie qui, au fil des ans, peut alors s'étaler en denses et verdoyantes prairies sous-marines. Cela, associé à son extraordinaire longévité, fait qu'actuellement la plante la plus large du monde est une posidonie.

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Les rôles joués par la posidonie dans l'écosystème marin

La posidonie joue un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité et le maintien de l'équilibre écologique des écosystèmes marins. C'est encore plus vrai dans la Méditerranée où elle forme la seule prairie marine de la région. Elle n'y occupe qu'une toute petite partie (entre 3 et 9 %), mais joue des rôles tellement cruciaux que sa disparition entraînerait immanquablement un effondrement du biotope marin.

Un herbier de posidonie est avant tout un refuge pour les animaux marins. Partout dans le monde, elle permet tant aux tortues de mer qu'aux poissons (rascasse, saupe, congre, etc.) et même aux mammifères comme les dugongs, de trouver protection et nourriture. Grâce à la densité de son feuillage, mollusques et crustacés peuvent également y proliférer à l'abri.

Avec de telles caractéristiques (refuge et alimentation), les herbiers font également à la fois un parfait lieu de ponte et une excellente nurserie où les juvéniles, peu exposés, ont toutes les chances de grandir. En conséquence et à l'instar des barrières de corail, les prairies sous-marines grouillent littéralement de vie !

Des rôles tout aussi importants pour l'environnement

Les herbiers de posidonie sont des nurseries et des frayères, mais leurs rôles vont encore bien au-delà. Pour commencer, la posidonie est un filtre naturel qui nettoie l'eau de mer. Elle retient les sédiments en suspension tout en captant les agents infectieux pouvant évoluer dans l'eau, la rendant alors cristalline. Mieux, une étude a récemment mis en lumière son action indirecte contre le microplastique qui a envahi la mer Méditerranée. Il faut en effet savoir que les chutes de feuilles de posidonie ainsi que leurs rhizomes morts, façonnés par le roulement des vagues et les courants, ont tendance à former des pelotes hirsutes de couleur brune qui s'échouent régulièrement et en quantité sur le littoral méditerranéen. Ce sont les égagropiles, plus couramment appelés "boules marines" ou encore "pelotes de mer". En étudiant ces restes de posidonie, des scientifiques espagnols ont alors fait une découverte étonnante : des petits fragments et des fibres de plastique ! Ces agrégats de fibres 100 % naturelles sont donc capables de piéger le microplastique, tout du moins, ceux qui sont plus denses que l'eau.

Autre rôle important de la posidonie : non seulement fixe-t-elle le substrat marin sur lequel elle pousse, mais elle limite également l'érosion de nos côtes. Comment ? Eh bien, n'avez-vous jamais remarqué, sur les rivages de la Méditerranée ou d'ailleurs, ces longues feuilles brunes et filasses en train de se décomposer au soleil ? Il s'agit de feuilles mortes de posidonie venues s'échouer sur le littoral. En recouvrant le sable, elle forme non seulement une très utile laisse de mer, mais aussi et surtout une protection qui leur évite le désensablement lorsque les vagues se font violentes en hiver. Lorsqu'un herbier de posidonie est assez haut par ailleurs, il a le pouvoir de casser la cinétique des vagues en surface et ainsi d'atténuer encore plus leur pouvoir destructeur sur le littoral.

Enfin, avec à sa large superficie, une prairie de posidonies est capable de rejeter une grande quantité d'oxygène dans l'eau tout en piégeant le dioxyde de carbone avec sa photosynthèse. Cela fait de cette plante un allié de poids dans la lutte contre les zones mortes qui tendent à se multiplier dans nos océans. En outre, les herbiers de posidonie sont également de très bons puits à carbone. Bien que ne couvrant qu'environ 0,1 % de la surface des fonds marins par exemple, ils seraient capables de stocker jusqu'à 18 % des émissions mondiales de CO2 (Programme des Nations unies pour l'environnement, 2020).

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Ces dangers qui menacent la posidonie

La posidonie est une espèce plutôt commune qui n'est la cible ni d'un prédateur spécialement inquiétant ni d'une maladie particulièrement délétère. Et pourtant, cela n'empêche pas la plante d'être menacée dans plusieurs régions comme en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Son principal ennemi ? Les ancres des bateaux !

Dans les régions fortement touristiques en effet, les bateaux, yachts et autres navires de plaisance sont légions et, bien évidemment, y mouiller dans une eau cristalline est largement plus agréable que dans un port bondé. Malheureusement, en levant l'ancre, ils ne se doutent pas qu'ils arrachent des pans entiers de précieux herbiers. Pour ne rien arranger, lorsque les bateaux sont en mouillage hors port, il arrive très souvent qu'ils bougent et tournent sur eux-mêmes. Ancre et chaîne sont alors entraînés et ballotés, ratissant le fond et détruisant des plants de posidonie qui auront mis des siècles à pousser. Dans les zones les plus fréquentées ainsi, surtout là où les bateaux sont grands, la surface des herbiers de posidonie aurait diminué de 30 % en 7 ans (Fonds mondial pour la nature).

Les ancres ne sont évidemment pas les seuls engins à faire des dégâts et tout ce qui est susceptible de modifier le fond marin ou même la limpidité de l'eau (la posidonie est extrêmement sensible à la turbidité) participe à la destruction des herbiers. Citons ainsi les chaluts et les engins de pêche de fond ; les bouées de mouillage à corps-mort ; l'urbanisation des littoraux ainsi que les aménagements qui peuvent modifier jusqu'à l'hydrodynamisme local. Face à toutes ces menaces, la posidonie est devenue une espèce protégée en France depuis la fin des années 1980 et des initiatives locales voient petit à petit le jour dans les ports les plus sensibles à sa préservation : zones d'amarrage dédiées ; zones d'interdiction au mouillage ; utilisation d'amarres spéciales, etc. Au niveau européen, la posidonie est également inscrite sur la liste des espèces en danger ou menacées de la Convention pour la protection de la Méditerranée contre la pollution (Convention de Barcelone).

Enfin, terminons avec deux menaces qui sont là aussi du fait des activités humaines : la pollution et l'accélération du réchauffement climatique. La pollution de l'eau, qu'elle soit chimique, azotée (issue des transports, rejets de l'agriculture et de l'élevage intensifs, etc.), ou encore issue des eaux usées, perturbe la biologie des posidonies et les font dépérir. A Marseille par exemple, le déversement d'eaux d'égout dans la mer pendant 12 ans aura fait reculer les herbiers de 44 %.

Quant au réchauffement climatique, il entraîne une augmentation de la température de l'eau ainsi qu'une augmentation des épisodes de canicules marines. Or, les scientifiques ont remarqué que lorsque la température de l'eau est élevée, la saupe, un poisson qui se nourrit de la posidonie, entre dans une sorte de frénésie dévorante qui met à mal la plante. En parallèle, il s'avère également que des eaux trop chaudes conduisent à une diminution du rythme de croissance de la plante.

Dans l'absolu pourtant, la posidonie est une plante robuste et particulièrement résiliente qui s'est si bien adaptée à son environnement qu'elle peut traverser les millénaires sans sourciller. Il est ainsi dommage que les menaces qui planent sur elle sont toutes d'origine anthropique. Le moins que nous puissions faire serait ainsi de tout mettre en œuvre pour garantir la survie de cette plante, en particulier en Méditerranée où elle est elle-même la clé de la survie de milliers d'espèces.

Par Andriatiana RakotomangaPublié le 17/01/2024