Ocean Census : une expédition pour recenser 100 000 nouvelles espèces marines
Les océans, en général, et leurs profondeurs abyssales, en particulier, sont aujourd'hui encore largement inexplorés. Ces vastes étendues marines qui s'étendent sur des millions de km² cachent un nombre considérable d'espèces encore inconnues, estimées à 2,2 millions par "Ocean Census". Ce collectif, qui regroupe des philanthropes, des spécialistes aux qualifications diverses et même des organismes étatiques, s'est aujourd'hui donné pour mission de remédier à cette méconnaissance en partant à la découverte de la vie océanique.
Une course contre la montre
Le 27 avril 2023, à Londres, l'ONG japonaise "Nippon Foundation", spécialisée dans le financement de projets philanthropiques, s'est associée avec la "Nekton Foundation", une autre ONG, mais engagée cette fois-ci dans l'exploration et la protection des océans. Ensemble, elles ont lancé le projet "Ocean Census", le plus vaste programme de recensement de la vie marine jamais imaginé sur la planète. Leur ambition ? Identifier 100 000 nouvelles espèces marines d'ici à 2033 !
Cette initiative a été motivée par un constat alarmant : menacés de toutes parts, notamment par le réchauffement climatique et la pollution marine, les océans se meurent et leur faune avec eux. Le souci, c'est qu'à l'heure actuelle, 90 % des espèces marines nous sont encore inconnues. Cela signifie qu'il est fort possible que la majorité d'entre elles disparaissent avant même qu'elles ne soient découvertes. C'est donc une course contre la montre qu'entame "Ocean Census", un projet très audacieux, mais fort heureusement, le collectif a pensé à se donner les moyens de ses ambitions.
Des moyens importants mis en place
Pour atteindre leur objectif de 10 000 nouvelles espèces recensées par an, les taxonomistes, biologistes, plongeurs et autres spécialistes internationaux engagés dans "Ocean Census" ont prévu des dizaines d'expéditions tout autour du globe pour les 10 prochaines années. Sont ainsi prévus des campagnes sous-marines financées totalement ou en partie par le collectif, des expéditions financées et menées par des instituts de recherche partenaires, et même des programmes de recherche marine et terrestre initiés par la société civile. En travaillant ainsi, c'est-à-dire en mutualisant leurs ressources, les chercheurs ainsi que les organismes et les instituts de recherche ne lancent plus que des expéditions à missions multiples. En procédant ainsi, le "rendement" de chaque campagne est optimisé et permet d'accélérer l'atteinte des objectifs de "Ocean Census".
En complément, les scientifiques de l'organisme font appel à plusieurs outils avancés pour maximiser leurs collectes. Certains bâtiments sont ainsi équipés de scanners spéciaux permettant de mieux détecter les animaux au corps mou et gélatineux (méduses, salpes, siphonophores, etc.). D'autres embarquent des bathyscaphes de dernière génération ou encore des robots sous-marins capables de plonger jusqu'au fond des abysses.
Pour les aider également dans leurs tâches, les chercheurs ont développé de nouvelles méthodologies et pratiques au sein de chacun de leurs métiers, tout en exploitant les nouvelles technologies afin d'accélérer la description et la classification des nouvelles espèces. Le collectif use, par exemple, de la puissance de l'apprentissage automatique (machine learning) et de l'apprentissage profond (deep learning) pour mettre sur pied un réseau de neurones artificiels. Capable d'identifier les espèces non seulement sur la base de simples images, mais aussi sur celles de données acoustiques, il est vite devenu une aide inestimable dans le travail de fourmis des chercheurs.
Les moyens déployés ne s'arrêtent évidemment pas là : techniques d'imagerie numérique 3D à haute résolution utilisées pour modéliser rapidement un spécimen ; imagerie multispectrale pour en créer des images aux couleurs fidèles ; ou encore association de la génomique environnementale au barcoding moléculaire, afin de collecter de l'ADN environnemental (ADN semé un peu partout par un animal lorsqu'il se déplace dans son environnement). Les scientifiques de "Ocean Census" ont tout mis en œuvre pour accélérer leur travail d'identification des espèces, sans pour autant faire l'impasse sur la qualité des descriptions.
À la rencontre des merveilles cachées des océans
Depuis son lancement, "Ocean Census" a déjà entrepris 6 expéditions marines autour du globe, se focalisant à chaque fois sur des espèces spécifiques. La toute première a été lancée deux jours à peine après l'officialisation du programme et pour l'occasion, les scientifiques du projet se sont greffés à l'expédition baptisée "AKMA3" de l'université norvégienne de Tromsø. À bord du célèbre REV Océan, ils ont pris la direction de l'océan Arctique, dans la mer de Barentz plus précisément, où les chercheurs se sont concentrés sur l'analyse de coraux, d'oursins et de mollusques. Pour cela, ils n'ont pas hésité à descendre jusqu'au niveau du plancher océanique, par 100, parfois même 500 mètres de profondeur.
Autour de l'atoll hawaïen Johnston, dans le Pacifique Nord, "Ocean Census" a cette fois-ci axé ses recherches sur les octocoraux, les coraux noirs, les éponges de mer, et les squat lobsters, des crustacés ressemblant un peu à une araignée de mer. Au large des côtes nord-ouest de l'Afrique, dans la Macaronésie, les spécialistes se sont intéressés aux Platyhelminthes (ou "Vers plats"), aux mollusques, aux octocoraux et aux décapodes. Ils y ont navigué entre les îles Canaries, l'archipel des Açores, celui de Madère et les îles du Cap-Vert. C'est au large de l'île espagnole de Tenerife, aux Açores, qu'ils ont répertorié le plus d'espèces nouvelles, plusieurs douzaines.
Réveiller les mentalités
Nouvelle-Zélande, Philippines, l'Arctique profond, les missions de "Ocean Census" se suivent et ne se ressemblent pas, sauf peut-être dans le fait qu'à chaque fois, les chercheurs tombent sur de nouvelles espèces. Pour autant, le réseau n'a, à ce jour, pas encore communiqué sur le nombre exact de nouvelles espèces qu'il a découvertes, chose qui ne semble pas déranger ses fondateurs, "Nekton Foundation" et "Nippon Foundation". De la bouche même de Yohei Sasakawa, président de cette dernière, l'essentiel est ailleurs : que "Ocean Census" réussisse à réveiller les mentalités.
Ainsi, même si l'objectif initial de 100 000 nouvelles espèces découvertes n'est pas atteint, il espère que les efforts considérables déployés dans le projet, les découvertes scientifiques et les avancées qu'elles permettront, serviront d'exemple et parviendront à sensibiliser tant les citoyens que les décideurs politiques. C'est là l'autre objectif du projet : toucher toutes les personnes de bonne volonté et les inciter à agir, selon leur portée, afin de protéger nos mers et nos océans.