La Twilight Zone, région de l'entre-deux méconnue des océans

A la verticale, l'océan est divisé en plusieurs étages, chacun abritant une faune spécialisée. Parmi ces strates, il y en a une bien particulière, méconnue, dont l'importance a longtemps été sous-estimée : la Twilight Zone.
La Twilight Zone, région de l'entre-deux méconnue des océans

Connaissez-vous la Twilight Zone ? Il faut dire que l'on parle plus souvent de la zone épipélagique, la strate la plus proche de la surface dans la colonne d'eau où l'on pêche les espèces de poissons dits "pélagiques" (sardine, thon, maquereau, etc.). Même les abysses et les mystérieuses créatures qui les habitent défraient plus souvent la chronique que l'humble Twilight Zone. Pourtant, cette zone spécifique de l'océan, coincée entre deux mondes, est d'une importance capitale tant pour le maintien de notre stock de poissons que pour le climat.

Entre ombre et lumière

La Twilight Zone, également appelée "zone aphotique" ou encore "zone mésopélagique", est l'étage de la colonne d'eau située entre la zone encore éclairée par les rayons de soleil au-dessus et la zone abyssale aveugle en dessous. Elle commence là où l'intensité de la lumière solaire décroît à 1 % de celle qu'elle a en surface. En plein océan, cela correspond à 200 mètres de profondeur. La zone mésopélagique de l'océan descend alors jusqu'à 1000 mètres.

La Twilight Zone a été baptisée ainsi, car la luminosité qui y règne la fait ressembler à un monde d'éternel crépuscule. La lumière n'y est jamais tout à fait présente et disparaît définitivement à mesure que l'on plonge vers le fond. C'est un univers obscur et froid, peuplé de créatures peu communes qui lui donne des allures de monde onirique.

La faune insolite de la Twilight Zone

La Twilight Zone grouille de vie. Elle représente 20 % du volume de l'océan global et contiendrait 10 fois plus de biomasse de poissons que ce que l'on pensait à l'origine. Elle pourrait ainsi accueillir plus de 90 % de la masse totale des poissons de la planète (entre 1 milliard et 20 milliards de tonnes). Les poissons de la Twilight Zone sont généralement effilés et tout en dents. Qu'ils mesurent 5, 10 ou 30 cm, ils ont comme point commun d'avoir de grands yeux capables de capter le maximum du spectre de la lumière solaire, notamment le bleu qui arrive à pénétrer jusqu'à 500 mètres sous l'eau.

La toile clair-obscure de la Twilight Zone est également souvent ponctuée de points de lumière. Ce sont des animaux bioluminescents, parfois fluorescents, qui cherchent tantôt à attirer une proie, tantôt à se dissimuler en donnant une fausse perspective à leur silhouette. Calamars, vers, méduses, zooplanctons, d'une façon ou d'une autre, chacun a ainsi trouvé le moyen d'utiliser l'obscurité environnante à son avantage en créant sa propre clarté dans le noir. Enfin, beaucoup de zones d'ombre entourent encore cette strate de l'océan encore très méconnue aujourd'hui. Les scientifiques pensent ainsi que plus d'un million de nouvelles espèces y restent encore à découvrir.

meduse

Une fonction cruciale pour la faune marine et le climat

La zone mésopélagique de l'océan est essentielle tant pour la chaîne alimentaire que pour mitiger le réchauffement climatique. Déjà, il faut savoir que la plupart de la faune de la Twilight Zone, poissons comme zooplanctons, migrent vers la zone du dessus la nuit pour se nourrir, puis redescendent se cacher le jour. Un immense mouvement de masse qui permet aux animaux proches de la surface de s'en alimenter. Le dauphin à long bec, par exemple, adore martyriser les bancs de poissons-lanternes piégés dans la lumière pour s'en nourrir. Un péché mignon qu'il partage avec la raie manta et qui ne risque pas de manquer puisque les poissons-lanternes représentent 65 % de la masse de poissons présente sous la barre des 200 mètres de fond. Enfin, à supposer que l'Homme ne s'en mêle pas, puisque l'incroyable stock de poissons de la Twilight Zone aiguise naturellement les appétits de l'industrie de la pêche.

Autre rôle essentiel des habitants de la Twilight Zone : l'emprisonnement du gaz carbonique contenu dans l'air. Tout commence avec le phytoplancton qui, en effectuant sa photosynthèse, absorbe du CO2. Lorsque le phytoplancton est avalé par du zooplancton, celui-ci va à son tour absorber le carbone capturé par sa proie. Il en sera de même lorsqu'il sera mangé par un poisson, et ainsi de suite jusqu'à ce que le dernier prédateur de la chaîne pousse son dernier soupir et tombe au fond de l'océan. Avec ses restes, le carbone accumulé par ses proies demeurera stocké dans les profondeurs et ne pourra pas contribuer au réchauffement climatique.

Alors, oui, ce ne sont ni le zooplancton, ni les poissons mésopélagiques qui, à la base, capturent le CO2. Mais en tant que prédateurs et surtout, vu leur nombre extraordinaire, ils jouent un rôle central et crucial dans son stockage au fond des océans.

poissons

Les menaces qui pèsent sur la Twilight Zone

La première des choses qui menacent cette région des océans est évidemment la surpêche dont on connaît aujourd'hui les importants dégâts qu'elle est en mesure de faire : disparition complète d'une espèce, destruction des habitats et déclin du stock de poissons. Si ce fléau atteint la zone aphotique, véritable garde-manger des océans, le vide qu'il va créer dans la chaîne alimentaire pourrait affamer les poissons et en réduire drastiquement le nombre, sans compter les dommages faits aux populations de mammifères marins.

Ensuite, il y a l'exploitation des ressources minières sous-marines. Le monde sous-marin regorge en effet de minerais précieux, surtout pour le secteur technologique. Les océans sont par exemple dans le viseur des fabricants de batteries pour les métaux qu'on trouve sur leur fond. Le problème est qu'une telle exploitation va forcément bouleverser le fragile équilibre des écosystèmes sous-marins dont ceux de la Twilight Zone.

Dernière menace enfin, la diminution du pH des océans qui entraîne l'acidification de l'eau. Le phénomène ne touche évidemment pas que la Twilight Zone, mais ses effets n'en restent pas moins dévastateurs. Les larves des organismes à carapace, mollusques comme zooplancton, ont du mal à produire leur coquille et beaucoup meurent prématurément. Les poissons, eux, sont désorientés et ont du mal à détecter leurs proies. Le plus alarmant est que plus l'océan absorbe du gaz carbonique, plus il devient acide. Or, cette absorption s'accélère avec l'augmentation de la quantité de CO2 présent dans l'atmosphère. En clair, plus nous émettons de CO2 au travers de nos activités (transport, industrie, élevage, etc.), plus l'océan va en capter et s'acidifier.

Encore mal connue et nécessitant d'être étudiée plus en détails pour être réellement comprise, la Twilight Zone est donc aujourd'hui déjà en danger. Cela montre une fois encore la fragilité de nos océans qui méritent qu'on leur montre amplement plus de respect et d'attention.

Par Andriatiana RakotomangaPublié le 08/04/2021