Le cochon de mer, un animal des profondeurs

Nos océans sont encore largement inexplorés, surtout les abysses qui recèlent des créatures fascinantes. Parmi elles, le cochon de mer, animal à l'apparence unique qui vit dans les sombres plaines de cet univers abyssal.
Le cochon de mer, un animal des profondeurs

Derrière le terme "cochon de mer" se cachent plusieurs espèces de concombres de mer appartenant au genre Scotoplanes de la famille des Elpidiidae. À ce jour, 5 espèces de cochons de mer ont été identifiées, à savoir le Scotoplanes hanseni, le Scotoplanes mutabilis, le Scotoplanes kurilensis, le Scotoplanes clarki et le Scotoplanes globosa. C'est cependant cette dernière espèce qui est la plus répandue dans tous les océans du globe, même dans l'océan Austral. C'est donc généralement à elle que le nom "cochon de mer" fait référence dans la conscience populaire.

Un cochon pas comme les autres

Le cochon de mer doit son nom à son apparence potelée, molle, et surtout à son teint rosâtre, parfois carrément rose. Souvent toutefois, l'animal est translucide, ce qui change des concombres de mer que l'on a l'habitude de rencontrer dans les eaux tropicales. Il est alors facile de voir que l'animal est bel et bien un invertébré et, dans certains cas, on peut même distinguer clairement ses organes, notamment son long et unique intestin qui serpente dans son corps.

De forme oblongue, long d'une quinzaine de centimètres, le cochon de mer est un animal benthique (il vit et se déplace au ras du plancher océanique, à 6 000 mètres de profondeur, voire 9 000 mètres). Il possède 5 à 7 paires de pieds tubulaires appelés "podias" qui lui permettent de se déplacer efficacement, quoique lentement, sur les fonds marins couverts de sédiments. Seules les plus longues lui servent toutefois à se mouvoir et la dernière paire, située près de son anus, est quasiment atrophiée.

Sur son dos enfin, l'animal possède 2 paires de ce qui semble être des tentacules, mais qui sont en réalité des papilles (une paire à l'avant et une à l'arrière). On sait encore peu de choses les concernant, mais les scientifiques soupçonnent l'animal de s'en servir pour s'orienter, notamment pour trouver de la nourriture à partir d'une trace chimique.

Se nourrir dans les abysses

Les abysses sont un environnement inhospitalier où la nourriture est rare. Il y existe pourtant une manne providentielle qui tombe littéralement du ciel : la neige marine. Il s'agit de matières provenant des masses d'eau supérieures et qui se composent de beaucoup de choses : déchets fécaux, planctons piégés, fragments organiques issus de la décomposition de plantes ou d'animaux morts, mais également divers éléments inorganiques comme de la suie ou du sable. En tombant, toute cette matière et ces particules s'agrègent pour former des flocons de détritus qui tombent sans discontinuer sur les plaines abyssales et qui s'accumulent sur le fond des océans pour y former des sédiments. Il s'agit d'une source de nourriture providentielle pour plusieurs créatures des fonds marins comme les cochons de mer.

Normalement, les concombres de mer se nourrissent en filtrant l'eau de mer grâce à de longs tentacules présents dans leur bouche. Le cochon de mer, lui, s'est adapté à sa source de nourriture. Il a certes gardé ses tentacules – au nombre de 10 entourant sa bouche et eux-mêmes ornés de plusieurs autres petits tentacules –, mais il s'en sert d'une autre manière : il fouille le sédiment à la recherche de particule organique caché dedans, le must étant pour lui de tomber sur une charogne (carcasse de poisson, de baleine, de requin, etc.). Cette manière de s'alimenter fait de lui un dépositivore, également appelé "déposivore".

Le cochon de mer a développé plusieurs stratégies pour optimiser sa collecte de nourriture. Par exemple, il se déplace souvent à contre-courant, un moyen, selon les scientifiques, d'être sûr de détecter rapidement les meilleures sources de nourriture et de trouver une neige la plus "fraîche" possible. Par fraîche, on veut bien entendu dire ici "tombée récemment", car plus elle le sera, plus il y a de chance qu'elle ait encore gardé un maximum de nutriments. Comme pour étayer cette théorie, les chercheurs ont par ailleurs remarqué que les cochons de mer ne s'intéressent qu'au sédiment récent, ayant moins de 100 jours. Au-delà de cette "date de péremption", les animaux passent leur chemin, considérant sûrement que le sédiment n'est pas assez riche pour mériter qu'ils s'y intéressent.

Un animal dangereux malgré les apparences

Les cochons de mer se déplacent généralement en grand groupe sur les plaines abyssales. On parle ici de centaines, voire de milliers d'individus marchant d'un même pas vers la même direction. Les plaines étant par définition exemptes d'endroits où se cacher, on peut légitimement se demander pourquoi un tel attroupement de proies potentielles n'attirent pas l'attention de prédateurs. La réponse réside en un seul mot : holoturine.

L'holoturine est une toxine contenue dans la peau de certains concombres de mer dont le Scotoplanes globosa. Elle agit sur les nerfs en bloquant les influx nerveux et peut causer la mort de quiconque serait assez téméraire pour manger l'animal. Le cochon de mer est également capable de libérer de l'holoturine lorsqu'il est attaqué, un système de défense que certaines espèces de petits crabes, notamment les juvéniles des crabes royaux, mettent à partie. Ces derniers n'hésitent ainsi pas à se cacher sous un cochon de mer lorsqu'un prédateur se fait un peu trop pressant !

Malgré sa toxicité néanmoins, le cochon de mer reste la cible de nombreux parasites. On compte parmi ceux-ci de petits crustacés de 5 mm de long, qui peuvent percer sa peau et vivre à l'intérieur de l'animal en le mangeant de l'intérieur. Le cochon de mer peut en outre être la victime de gastéropodes et de vers plats.

Un important rôle écologique

Les cochons de mer jouent un rôle crucial dans l'écosystème abyssal. Leur activité de fouissage augmente l'oxygénation du sédiment et revêt un rôle similaire à celui des vers de terre sur la terre ferme. Toujours à l'instar des vers de terre par ailleurs, leurs excréments, composés de sable filtré, stabilisent les fonds marins tout en l'enrichissant.

Enfin, avec leur appétit pour les détritus organiques, les cochons de mer sont les nettoyeurs des océans. En agissant promptement sur les carcasses de grands animaux marins, ils assurent le recyclage efficace des matériaux organiques et maintiennent l'équilibre de cet environnement encore largement méconnu de l'Homme que sont les abysses.

Par Andriatiana RakotomangaPublié le 13/08/2024