La neige marine, phénomène méconnu mais vital pour les océans

La neige marine est un processus clé, tant pour la survie des écosystèmes abyssaux que pour la machine climatique terrestre. Invisible depuis la surface, le phénomène est, sans surprise, largement méconnu, ce qui n'enlève rien de son importance pour la planète.
Une question d'agrégats et de polymère exopolymérique
La neige marine désigne le flux continu de particules chutant depuis les couches d'eau supérieures vers les abysses océaniques. Elles sont d'origine organique et inorganique, principalement constituées de restes d'êtres vivants (plancton, poissons, algues, etc), de matières fécales, mais aussi de particules minérales (sable, cendres volcaniques, etc).
Au fil de leur très lente descente vers les profondeurs marines, ces particules s'agrègent doucement, formant petit à petit des agrégats à la taille variable, allant de quelques micromètres à plusieurs centimètres. À partir d'une certaine profondeur, c'est donc une pluie constante de flocons qui accueille les visiteurs, des concrétions qui se lient de plus en plus fortement entre elles grâce à du polymère exopolymérique transparent.
Derrière ce nom barbare se cache une sorte de mucus, issu principalement de la dégradation cellulaire de planctons morts. Certaines bactéries colonisant les flocons peuvent également en secréter, tandis qu'il peut spontanément s'en former par coagulation de différents composés glucidiques complexes contenant un groupe carboxyle (un atome de carbone lié à 2 atomes d'oxygène dont l'un est lui-même lié à un atome d'hydrogène). Les polymères exopolymériques transparents sont ainsi essentiels à la neige marine, car ils sont, pour ainsi dire, le ciment qui lui permet d'exister.
Un important rôle dans le cycle du carbone
La neige marine est l'expression visible de la captation du gaz carbonique par les océans. Nous le savons, le phytoplancton vit en produisant de l'énergie via la photosynthèse. En procédant ainsi, il fixe le carbone du CO2 et à sa mort, à lui ou à tout autre animal l'ayant mangé, le carbone se précipite avec ses restes sous forme de neige marine vers les profondeurs des océans.
À l'échelle mondiale, ce processus arrive à absorber 25 à 30 % du CO2 anthropique produit chaque année. Il s'agit, par ailleurs, d'un mécanisme très efficace de séquestration du carbone puisque, enfermé tout au fond des océans, le gaz à effet de serre y est confiné pour des siècles, voire des millénaires. En revanche, si cette prouesse fait bien nos affaires en mitigeant le réchauffement climatique, elle n'est hélas pas sans conséquence et est même de plus en plus dommageable pour l'océan.
Une ressource inestimable pour les écosystèmes
À partir de 200 mètres de profondeur environ, l'intensité de la lumière du soleil commence à décroitre : c'est le commencement de la Twilight Zone, un entre-deux fait de crépuscule. De là, il devient de plus en plus difficile de faire de la photosynthèse, ce qui signifie que le phytoplancton, base de la chaîne alimentaire, devient de plus en plus rare. Sous de telles conditions, la neige marine devient vite une source non négligeable d'énergie pour les êtres vivants.
Dans un premier temps, les flocons sont colonisés par des bactéries et du zooplancton qui s'en nourrissent. Comme les flocons peuvent mettre jusqu'à plusieurs semaines à atteindre le plancher océanique, une grande partie de la neige marine originelle a ainsi le temps d'être grignoté. Les scientifiques estiment que moins de 5 % des particules organiques venues de la surface arrivent à atteindre les fonds marins.
Contre toute attente néanmoins, cette petite fraction se trouve être suffisante pour faire de la neige marine la principale source de nourriture disponible parmi les sédiments de la plaine abyssale. D'ailleurs, depuis les vers marins jusqu'aux cochons de mer, en passant par les crustacés des grandes profondeurs, plusieurs animaux marins dépendent fortement de cette manne pour faire le plein de précieux nutriments dans ce monde froid et aveugle que sont les abysses.