La malédiction de la pollution textile sur les plages d'Accra

Le plastique est souvent cité en premier dès lors que l'on parle de pollution des plages. Mais au Ghana, il est un péril peu commun avec lequel le littoral doit composer : les vêtements. Importés d'Occident, ils envahissent le sable où ils s'enracinent littéralement au point de défigurer les plages de la capitale.
La malédiction de la pollution textile sur les plages d'Accra

Quoi de plus anodin aujourd'hui que de se débarrasser des vieux habits qu'on ne porte plus. On les donne à des associations ou à des œuvres de charité, on les envoie au recyclage, ou, tout simplement, on les jette. Dans tous les cas, on est loin de se douter qu'ils iront polluer les plages et les paysages d'un pays à des milliers de kilomètres de là. Et pourtant…

Une pollution systémique

À Accra, capitale du Ghana, en Afrique de l'Ouest, il suffit de s'approcher un peu du bord de mer pour découvrir l'étendue du phénomène. La plage est constellée de ce que les habitants appellent des "araignées" ou encore des "monstres". Ce sont des monceaux de vêtements entremêlés et ensevelis si profondément dans le sable qu'il en devient très difficile, voire impossible, de les retirer. Autant dire que cette pollution va rester longtemps sur la plage.

Sur les plages les plus touchées, comme celle de Korle-Gonno, les vêtements forment même un substrat et s'entassent en dunes. L'océan, quant à lui, vomit en continu des amas de textiles difformes. Autant de signes d'un mal profond dont la plage ne souffre en réalité que des symptômes.

Une histoire de fripes

Le Ghana est officiellement devenu le premier importateur de vêtements de seconde main du monde en 2020. Le volume importé sur l'année s'élevait alors à 182 millions de dollars, soit environ 165,7 millions d'euros. Toute cette marchandise atterrit majoritairement au marché de Kantamanto, principal marché aux fripes d'Accra et accessoirement plus grand marché de vêtements de seconde main de toute l'Afrique de l'Ouest.

Quotidiennement, ce sont 160 tonnes de vêtements usagés qui débarquent dans ce marché. Des t-shirts de grandes marques, des jeans ou encore des serviettes de plage qui proviennent essentiellement du Royaume-Uni et du Canada, mais aussi des États-Unis et d'Australie. À l'origine, ces habits étaient des dons ou encore étaient destinés à être recyclés, mais ils ont fini en Afrique, car exportés par ces mêmes entreprises chargées de le faire. L'ennui, c'est que 40 % de ces fripes importées sont d'emblée trop détériorées pour être vendues. Des marchandises dont personne ne veut, vouées à ne devenir que des déchets une fois arrivés au Ghana. Et c'est ainsi que Kantamanto produit entre 60 et 70 tonnes d'ordures textiles par jour.

marché Ghana

Un système surchargé

Malheureusement, le système de gestion des déchets d'Accra n'a pas été conçu pour absorber un tel volume d'ordures. La décharge municipale déborde depuis longtemps et les dépôts ouverts par la suite n'en sont déjà pas loin avec des collines de textiles qui y poussent à un rythme quotidien.

La plupart des déchets textiles, néanmoins, n'atteignent pas ces sites et échouent plus ou moins délibérément dans la rivière Odaw qui traverse la ville, ainsi que dans les divers cours d'eau qui la parcourent. De là, ils voyagent péniblement jusqu'à déboucher dans l'océan. Rien d'étonnant finalement à ce que les plages d'Accra soient le théâtre d'une invasion funeste, tant pour l'environnement que pour les Hommes.

Des conséquences désastreuses pour tous

La première conséquence de cette pollution massive des plages d'Accra est la disparition de la faune des littoraux concernés : les tortues marines ne viennent plus pondre dans le sable, la laisse de mer a totalement disparu, et la décomposition des matières textiles synthétiques empoisonne les eaux à long terme. En se décomposant en microplastique en effet, elles pénètrent dans les organismes marins et finissent ainsi jusque dans les assiettes.

Avec plusieurs couches de vêtements qui s'accumulent sur plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur également, il est à peu près sûr que toute vie a disparu à l'intérieur du sable. D'ailleurs, en le creusant pour extraire des habits, des bénévoles qui nettoyaient la plage ont remarqué que le sable était devenu noir en profondeur.

Enfin, les ordures générées par le déferlement continu d'habits de basse qualité venant d'Occident bouchent continuellement les voies d'eau ainsi que les égouts de la ville. Cela provoque des inondations à chaque saison des pluies qu'un curage pourtant permanent ne permet pas d'éviter.

Par Andriatiana RakotomangaPublié le 08/02/2023