Italie : le fléau des plages privées prive les habitants de bains de mer

Si l'idée des plages gratuites et accessibles à tous est une évidence pour vous, le cas italien prouve que les choses ne sont pas aussi simples. De plus en plus de plages sont payantes, et un droit d'entrée ou la location d'un espace pour la saison est nécessaire pour profiter du sable de la Botte. Une aberration pour les habitants, qui doivent faire face à des règles peu transparentes sur les conditions d'attribution des concessions et à de vraies difficultés pour trouver une plage gratuite.
Italie : le fléau des plages privées prive les habitants de bains de mer

Les "plages libres", comme on désigne les plages gratuites italiennes, représentent désormais moins de la moitié des étendues de sable en Italie. La faute à plus de 50 ans d'attribution de concessions privées ayant transformé le littoral en vaste business, et à une pollution de l'eau qui touche plus de 7 % des plages, ce qui les rend impraticables. Trouver une plage gratuite devient donc un véritable parcours du combattant pour les Italiens et les touristes qui refusent de payer pour profiter d'une nature gratuite par essence.

Les plages privées ont envahi plus de la moitié de l'Italie

Il y a environ 7 500 km de plages en Italie, ce qui laisse entrevoir de belles possibilités pour les baigneurs et les amateurs de farniente souhaitant profiter du soleil de la Botte. Toutefois, plus de la moitié de ces plages sont désormais privées et dans certaines régions, les chiffres font état de 70 % de plages privées (en Ligurie et en Émilie-Romagne), avec un pourcentage qui grimpe même à 90 % en Campanie, du côté de Naples, où sur les 27 kilomètres de plage, seuls 200 mètres restent gratuits.

Des données éloquentes, qui s'ajoutent aux statistiques rapportées par l'association environnementale Legambiente, qui se bat notamment pour une réglementation plus transparente et un retour aux plages gratuites. En plus de l'érosion qui grignote chaque année un peu plus les plages italiennes, et une pollution de l'eau qui touche 7,7 % des côtes, les concessions croissantes sur le littoral italien (+ 15,5 % entre 2018 et 2022, avec aujourd'hui 12 166 établissements balnéaires et 1 838 campings) mettent en péril les plages. Non seulement elles polluent, du fait de l'émergence de complexes touristiques imposants, mais en plus, elles empêchent l'accès gratuit à ces plages aux locaux.

Désormais, les spiagge libere sont rares et aller à la plage coûte une fortune : de 20 euros par jour pour un simple transat, à plus de 1 500 euros pour la saison dans certaines régions. Un luxe qui inquiète la Commission européenne, du fait des conditions obscures d'attributions des marchés (sans appels d'offres et avec une transmission de père en fils), ce qui la pousserait à envisager des réglementations. Toutefois, le gouvernement italien évite le sujet, pour ne pas se mettre à dos un secteur touristique de prime importance dans le pays, avec un chiffre d'affaires représentant plus de 13 % du PIB.

plage privée italienne

Un manque de régulation face à un phénomène croissant

Le manque de transparence face aux attributions des concessions est un véritable problème, qui trouve sa source dans les maux qui touchent l'Italie depuis des décennies : corruption, conflit d'intérêt, liens entre politique et mafia, régionalisme puissant, etc.

Il existe pourtant des lois – hélas moins restrictives que la Loi Littoral française – qui encadrent les attributions et qui devraient limiter le nombre de constructions sur un littoral. Toutefois, des irrégularités dans les registres ont été constatées et l'Italie a même été mise en demeure en 2020 par la Commission européenne. Quant à la Loi de défense des plages, qui impose un pourcentage de plages gratuites dans certaines régions (40 % en Ligurie, par exemple), elle n'est pas respectée pour la simple et bonne raison qu'aucune sanction n'est prévue à l'encontre des municipalités qui l'ignorent.

Selon une étude de Legambiente, la présence de plages privées dans certaines communes dépasse les 90 % (à Laigueglia ou à Diano Marina en Ligurie, à Pietrasanta, Camaiore ou Montignoso en Toscane) et atteint même les 100 % de privatisation à Gatteo en Emilie-Romagne, ce qui fait que les habitants ne peuvent pas se baigner sans payer.

Elles rapportent plus de 2 milliards d'euros aux quelque 8 000 familles possédant le droit d'exploiter ces plages, en y installant des transats, des parasols, des restaurants de plage, et autres bars et glaciers. Pour certains, les concessions ont été attribuées il y a plus de 30 ans, sans règles précises, ce qui fait qu'elles se transmettent de génération en génération.

plage privée italienne

Que réclament les associations de protection des plages ?

Face à un tel fléau, des associations s'organisent en vue de faire réagir le gouvernement. Parmi les requêtes de Legambiente, la plus importante d'entre elles, celles d'établir une loi qui garantirait le libre accès et la libre utilisation des plages par tous.

D'autres propositions concernent l'interdiction du ciment qui vient grignoter du terrain sur les plages à force de construction, la prise de mesures pour lutter contre l'érosion et la pollution, et une adaptation des structures du littoral pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique, telles que les inondations.

Des initiatives soutenues par des activistes comme ceux de la Conamal (Coordinamento Nazionale Mare Libero) qui mènent des actions de sensibilisation auprès des municipalités et des institutions régionales ou nationales. En s'adressant aux institutions, d'une part, mais surtout aux jeunes, ces défenseurs du littoral veulent rappeler que la plage appartient à tout le monde !

Le 1er janvier 2024, sous la pression des institutions européennes, une loi votée en 2022 par le gouvernement de Mario Draghi aurait dû revoir le processus d'attribution des concessions, afin de le rendre plus transparent. Mais le nouveau gouvernement italien dirigé par Giorgia Meloni a fait le choix de reporter sa mise en place, préférant tenir tête à l'Europe, suivant ainsi la ligne directrice de sa politique nationaliste.

plage privée italienne

Où trouver des plages libres en Italie ?

Si elles se raréfient, les plages gratuites d'Italie existent encore. Il est hélas fréquent que ces lieux soient sales, car non entretenus, dans un pays qui a encore quelques années de retard en matière de protection de l'environnement, comme en témoignent les nombreux détritus abandonnés sur le sable en été. Pire : il arrive souvent que des établissements s'octroient le droit d'en privatiser une partie, en profitant des largesses de la législation et des gouvernements locaux.

Fort heureusement, il reste encore quelques petits coins paradisiaques à découvrir gratuitement et des plages magnifiques sur le littoral italien, qui vous raviront le temps d'un séjour dans la Botte.

Parmi les spiagge libere les plus charmantes, on peut citer :


  • la plage de Carla Violina, en Toscane ;

  • la Plage des Due Sorelle, dans les Marches ;

  • la Spiaggia di Punta Penna, au sein de la réserve naturelle de Punta Aderci, dans la région des Abruzzes ;

  • Cala Sisine, une baie dans la commune de Baunei, en Sardaigne ;

  • la plage Lama Monachile, du superbe village de Polignano à Mare, dans les Pouilles ;

  • la Spiaggia dell'Arcomagno, près de Cosenza, en Calabre.

Des merveilles naturelles dont il est encore possible de profiter gratuitement, souvent au prix d'une petite marche, qui leur permet d'être préservées de la folie entrepreneuriale qui touche leurs homologues. Mais jusqu'à quand ?

Photos : annegillet / Pascal Ohlmann / falco sur Pixabay

Par Mickael Publié le 06/10/2023