La plage appartient-elle à tout le monde ?

Il y a les plages publiques et les plages privées. Enfin, c'est ce qu'on croit souvent, car l'accès au littoral est garanti à tous par la loi. Mais qu'en est-il dans la pratique ? Peut-on vraiment jouir de la plage gratuitement en toute circonstance ?
La plage appartient-elle à tout le monde ?

Les citoyens doivent pouvoir accéder à la mer, en tout lieu et à tout moment. C'est le grand principe appliqué en France. Cependant, outre l'accès, l'occupation et l'utilisation du littoral en général et des plages en particulier font l'objet d'une réglementation particulière qui ne souffre que peu d'exception. Le "sentier littoral" a été mis en place dans ce but. Ce qui n'empêche pas, bien entendu, les litiges, contentieux et autres scandales.

Accès au littoral et occupation des plages

Les premiers principes de l'accès libre et gratuit à la plage datent de 1858 afin de permettre à tout un chacun d'utiliser les plages pour des activités qu'il est impossible de pratiquer ailleurs (pêche, nautisme…). L'utilisation et la gestion du littoral sont désormais régis par la loi littoral du 3 janvier 1986. Et cette loi est claire : "L'accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l'environnement nécessitent des dispositions particulières. L'usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines". Par conséquent, l'accès libre et gratuit est la règle. Les autres situations sont l'exception et doivent être dûment validées par les autorités dans des conditions bien encadrées, prenant en compte notamment l'utilité de l'exception et les contraintes liées au voisinage et à l'environnement.

Cependant, l'aménagement et l'exploitation des plages peuvent être entrepris directement par les collectivités ou concédés à un délégataire. Mais attention : l'occupation des plages ne peut dépasser 20% de la surface pour les plages naturelles, et 50% pour les plages artificielles. Et, bien entendu, ces occupations ne doivent pas entraver l'accès piéton au littoral. Une bande de 3 à 5 m doit être laissée libre pour le passage des piétons.

Les activités autorisées ont été précisées par le décret n°2006-608 du 26 mai 2006, dit "décret plage" qui dispose que lesdites activités doivent être "destinées à répondre aux besoins du service public balnéaire" (article 1) et que les installations doivent être démontées à la fin de la saison (article 2), ce qui interdit de facto les constructions en dur. Les autres activités sont soumises à un autre régime juridique, les Autorisations d'Occupation Temporaire. C'est le cas par exemple des aires de jeux pour les enfants. Les restaurants nécessitant une cuisine et un assainissement ne sont plus autorisés car ils ne constituent pas un besoin lié aux activités balnéaires. Les contrevenants risquent des contraventions dites de grande voirie, autrement dit celles qui répriment les atteintes à l'intégrité du domaine public.

transats plage

Bien entendu, la tentation est grande de passer outre. Ainsi, plusieurs affaires ont fait scandale en la matière. Tout d'abord en 1999, l'affaire dite des paillotes, qui a vu une paillote installée clandestinement sur une plage corse illégalement incendiée de nuit par les forces de police sous l'instigation du préfet. En 2014, c'est le Roi Salmane d'Arabie Saoudite qui a défrayé la chronique. Celui-ci s'est en effet installé avec une centaine de personnes dans une villa de Vallauris. En raison des risques d'attentat, la préfecture des Alpes-Maritimes a décidé d'interdire les abords de la villa, et notamment la fermeture de la plage voisine de la Mirandole. Et le Roi Salmane de faire construire un ascenseur pour rejoindre directement la plage depuis la villa, située quelques mètres plus haut. Sans autorisation.

En ce qui concerne le sable, les galets et les coquillages, leur collecte est totalement interdite dans certains pays. En France, elle est réglementée par l'article L321-8 du Code de l'Environnement qui vise à protéger notamment l'intégrité des plages et les écosystèmes. Dans la pratique, une certaine tolérance est de mise pour les très faibles quantités. Pas de risque d'amende donc si vous ramassez quelques galets avec vos enfants. Quoique sur les plages à forte fréquentation, les souvenirs emportés se montent à des quantités importantes. Comme à Etretat qui, à certaines périodes, verrait partir jusqu'à 400 kg de galets par jour !

Le sentier littoral et les exceptions

La question de la privatisation des plages et de l'accès au littoral à proximité des habitations étant une source récurrente de contentieux, l'état a légiféré. La loi du 31 décembre 1976 entérine la création d'un sentier dit "sentier littoral". Celui-ci, aussi connu sous le nom de "chemin des douaniers", concrétise un usage de fait datant du XIXe siècle, lorsque les douaniers faisaient leurs rondes à même le littoral. Ceci concerne aussi bien les plages que les espaces sauvages ou les propriétés privées.

Concrètement, ledit sentier doit se situer dans la bande des 3 mètres déjà évoquée. Lorsqu'il traverse une propriété privée, il constitue une servitude qui doit faire l'objet d'un arrêté préfectoral. Il existe des exceptions, notamment lorsqu'une maison se situe à moins de 15 mètres. Le sentier est alors déporté hors de la zone des 3 mètres.

Cette servitude n'est pas du goût de tous les propriétaires. Un feuilleton dure ainsi depuis plus de 30 ans à Saint-Briac, près de Saint-Malo. Les propriétaires des cossues maisons de bord de mer ne trouvent pas à leur goût de voir des promeneurs au fond de leur jardin et ont entrepris une guérilla juridique afin d'entraver la création d'un sentier public le long de la falaise. Parmi les plaignants, on trouve notamment la famille Forbes, dont font partie l'ancien ministre de l'environnement Brice Lalonde et son cousin John Kerry, ancien candidat à la présidence des États-Unis en 2004.

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La propriété des plages à l'étranger

A l'étranger, les situations varient suivant les pays. Au Chili, par exemple, la situation est semblable à la France : le littoral doit être libre d'accès à tous, et les propriétaires sont tenus de laisser un passage à travers leur terrain à destination des piétons.

En Espagne, pays contraint par un certain nombre de textes européens, la situation est également semblable à la France. Une loi de 1993 a cependant ramené la largeur de servitude en bord de mer de 100 à 20 mètres, ce qui a eu pour effet immédiat de rendre légales un certain nombre de constructions vouées à la destruction. Il existe également une servitude semblable au "sentier littoral" qui existe en France.

Aux États-Unis, les situations diffèrent d'un état à l'autre. La première réglementation est une loi texane de 1959, la Texas Open Beaches Act, qui précise que la ligne de la végétation fixe la limite entre le domaine privé et le domaine public. Selon Andrew Kahrl, ceci proviendrait d'un usage romain passé d'abord par la Common Law anglaise avant de finir dans le droit texan. Cependant, dans le pays où la propriété privée et les droits des propriétaires sont située très haut dans l'échelle des valeurs, l'extension dans certains états de la propriété publique des plages et du littoral en général fait grincer des dents.

Par Charles LorrainPublié le 27/01/2020