Cette célèbre plage du Sénégal est devenue une déchetterie à ciel ouvert
Nichée au nord-est de la capitale sénégalaise, la baie de Hann était, il y a 40 ans, une destination de villégiature prisée aussi bien par les Sénégalais que par les touristes. Ces quelques décennies ont, hélas, suffi à faire passer cette calme et célèbre oasis de destination de rêve à immonde dépotoir.
Les temps glorieux de la baie de Hann
La baie de Hann se trouve en banlieue de Dakar, à une trentaine de minutes du centre-ville. C'est une gigantesque anse de 14 km qui donne sur l'ouest de l'océan Atlantique. On y trouvait alors une longue et belle plage de sable fin, des eaux cristallines d'un bleu azur, et des dunes végétalisées qui faisaient de la baie l'une des plus belles plages d'Afrique et même du monde.
Outre celui des touristes, la baie de Hann faisait également le bonheur des pêcheurs qui n'avaient alors aucun mal à ramener des filets pleins, en les jetant à quelques dizaines de mètres seulement du rivage. Tout allait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais ce tableau idyllique allait bientôt s'écrouler.
La descente aux enfers
Nous sommes dans les années 1980 et le Sénégal, indépendant depuis une vingtaine d'années, prend son destin économique en main. Pour attirer les capitaux, l'État opte pour une politique de zones franches : les usines bénéficient d'un système fiscal attrayant contre certaines promesses d'embauches et de flux de devises. Très vite, des centaines de manufactures, essentiellement textiles, viennent s'ajouter à celles déjà implantées dans Dakar depuis les années 1920. Résultat, plus de 60 % de l'industrie du Sénégal se concentre aujourd'hui autour de la baie de Hann, un boum qui ne s'est cependant pas accompagné des aménagements adéquats pour évacuer l'eau usée rejetée par toute cette activité industrielle. On se tourne alors vers la solution de facilité : tout jeter dans la baie et dans les canaux de la ville, notamment le numéro 4 et le numéro 6.
Construits bien avant l'indépendance, ces canaux ont pour objectif de protéger Dakar des inondations durant les saisons de pluie. Ils traversent ainsi presque toute la ville pour se jeter dans la baie de Hann qui, peu à peu, s'est chargée d'huiles, de substances chimiques et de déchets industriels. Au fil du temps, les quartiers mitoyens à la baie se sont également industrialisés, à l'instar de cet abattoir qui déverse directement, sans autre forme de procès, sang et résidus dans l'océan.
Mais les usines ne sont pas les seules à polluer la jadis magnifique baie de Hann. En 20 ans d'indépendance, Dakar a aussi connu une belle expansion démographique, passant de 300 000 habitants environ en 1960, à approximativement 960 000 en 1980. Une multiplication par 3 qui, là aussi, n'a pas été convenablement accompagnée par les infrastructures appropriées. Ce sont ainsi des quartiers entiers qui se sont érigés sans raccord à tout-à-l'égout, mais également sans service de collecte de déchets. Il est alors devenu naturel de jeter ses ordures ménagères dans les fameux Canal 4 et Canal 6, voire directement dans la baie lorsque celle-ci est plus proche. On parle ici de restes de repas, d'emballages alimentaires et de tout type d'ordures ménagères, mais hélas aussi de matières fécales, de couches sales et autres immondices rebutantes.
Des conséquences sur l'environnement et la santé
Après plusieurs décennies à supporter ces comportements nocifs, les eaux claires de l'anse se sont métamorphosées en un dangereux cocktail d'eaux usées, de déchets industriels et toxiques. L'eau y est carrément noire par endroits et le ressac joue désormais avec d'ignobles monceaux de détritus jonchant inégalement le littoral de la baie de Hann. Plus on se rapproche de la sortie des canaux, plus les pneus, les déchets plastiques ainsi que les matières organiques se font abondants, ensevelissant une plage devenue dépotoir.
Bien entendu, la situation a radicalement changé la vie des pêcheurs qui doivent maintenant aller au large pour gagner leur pitance, la vie marine ayant quasi disparu des côtes. Et puis, de toute façon, s'il se trouvait que quelques poissons y survivaient, qui se risquerait à les consommer dans de telles conditions ? Même au large, les poissons ramenés des expéditions sentent quand même le pétrole, preuve d'une pollution systémique et pernicieuse qui s'étend bien au-delà de la baie de Hann : le mal qui touche la plage n'est en réalité que la partie émergée d'un iceberg aux proportions bien plus vastes.
Enfin, en raison de la pollution de l'eau, mais également de l'air, les habitants des quartiers jouxtant la baie souffrent souvent de maladies de la peau, de diarrhée, de pneumonie ainsi que de diverses affections respiratoires. En hiver, ces maladies deviennent même chroniques et prennent des allures d'épidémies.
Le rêve de réhabiliter la baie de Hann
La première prise de conscience ayant donné lieu à de vraies actions en faveur de la baie a eu lieu en 1988. Les riverains ont alerté les autorités, des promesses ont été faites, puis, ont été oubliées. Ce n'est qu'en 2002, après une énième pétition, que l'État décide officiellement de se pencher sur sa dépollution ainsi que sur la restructuration des quartiers alentour.
En 2010, une taxe environnementale basée sur le principe du "pollueur-payeur" est entérinée, mais l'outil se montrera peu dissuasif, faute de réelles volontés à l'appliquer. Malgré cet écueil, l'Agence française de développement (AFD), avec le soutien de la China Development Bank, de l'Agence néerlandaise pour l'Entreprise et de l'Union européenne, décide en 2020 de co-financer avec l'État sénégalais le plus grand projet de dépollution d'Afrique de l'Ouest : le Projet de dépollution de la baie de Hann. Coût du programme : 83,1 millions d'euros.
Sous la coordination de l'Office national de l'assainissement du Sénégal, ce projet a pour objectif de construire une station d'épuration d'eau et d'installer 30 kilomètres de réseaux secondaires d'eaux usées pour y raccorder les ménages. Grâce à cette initiative, plus de 2 000 foyers et 500 000 personnes seront connectés à un réseau d'assainissement. Grâce à lui, les eaux usées pourront être collectées et transportées vers une station d'épuration avant leur déversement dans la mer. Ce centre de traitement est d'ailleurs en cours de construction non loin de la baie et, malgré quelques péripéties dont une faillite, il devrait être opérationnel en 2025.