Ce poisson a choisi de ne plus respirer pour survivre

Pour vivre dans des conditions difficiles, les êtres vivants font le plus souvent preuve d'ingéniosité. Mais quand l'environnement devient franchement hostile, certaines espèces évoluent et développent des caractéristiques incroyables pour survivre, quitte à arrêter de respirer !

Il y a 10 000 ou 15 000 ans, le Cyprinodon macularius était un poisson comme les autres. Il vivait dans un immense lac situé dans le sud-est de l'actuelle Californie. Cette zone est aujourd'hui plus connue sous le nom de Vallée de la mort, l'un des endroits les plus chauds de la Terre.

A l'origine, le lac Manly

La Vallée de la mort n'a pas toujours été un endroit aride au climat désertique, il y a une dizaine de milliers d'années s'y trouvait un grand lac alimenté par plusieurs cours d'eau et par trois grandes rivières : le lac Manly.

Il a été le résultat de la fonte d'un glacier et avait des dimensions plus que raisonnables pour un lac : 70 km de long pour 6 à 7 km de large, 150 à 200 mètres de profondeur, on ne peut qu'imaginer l'écosystème foisonnant qu'a dû accueillir un tel plan d'eau.

Malheureusement, le réchauffement de la planète aura eu raison de lui et le lac Manly finit par s'évaporer, laissant la place à la Vallée de la mort. Tout ce qui reste du lac aujourd'hui sont ses empreintes géologiques et des nappes d'eau souterraines, des sources d'eau chaude éparses dans lesquelles ont pu se réfugier quelques espèces vivantes dont justement le cyprinodon macularius.

Une histoire de radicaux libres

Le cyprinodon macularius, également connu sous le nom de poisson mordeur du désert, est un petit poisson de 4 à 7 cm de long. Les mâles sont de couleur bleue tandis que les femelles sont argentées et souvent tâchées de brun.

Comme tous les êtres vivants, le cyprinodon utilise ses mitochondries, des organites cellulaires, pour produire l'énergie nécessaire au fonctionnement de son organisme. Ces minuscules composants cellulaires (de l'ordre du micromètre) utilisent l'oxygène issu de la respiration et de divers composés puisés dans la nourriture pour produire des molécules organiques bourrées d'énergie appelées ATP (pour adénosine-triphosphate).

Ces molécules contiennent l'énergie nécessaire à la tenue de toutes les réactions chimiques d'un métabolisme. Dans ce processus de création cependant, les mitochondries produisent également des radicaux libres dont la forte concentration est très nocive pour les cellules. L'ennui est que la production de radicaux libres augmente avec la chaleur et que notre poisson vit dans des eaux chaudes qui peuvent atteindre les 35°C. S'adapter était donc devenu une question de survie et le poisson l'a très vite compris.

Une adaptation rapide

10 000 ans n'est qu'un battement de cils sur l'échelle de l'évolution, et l'évaporation relativement rapide du lac Manly n'a laissé que peu de temps au Cyprinodon pour s'ajuster à son nouvel environnement. D'un milieu humide et frais, le poisson s'est retrouvé dans un habitat à la fois trop chaud et pauvre en oxygène. Fort heureusement, il a réussi à trouver la parade pour survivre aux conditions particulièrement hostiles de ce nouveau biotope : interrompre le processus mitochondrial et pour y arriver, il n'y est pas allé par quatre chemins, il a tout simplement arrêté de respirer.

Le Cyprinodon peut ainsi rester en "apnée" pendant 5 heures, limitant drastiquement les besoins en oxygène de ses cellules et produisant ainsi de l'éthanol, un alcool qui lui permet de bloquer momentanément ses mitochondries. Il s'agit là d'une plasticité métabolique étonnante, surtout au vu du faible temps d'adaptation dont disposait le poisson. Ces phases anaérobiques (sans consommation d'oxygène) ne sont cependant pas sans coût et les scientifiques estiment que durant ces périodes, l'organisme du Cyprinodon macularius est 15 fois plus sollicité qu'en temps normal.

Cette adaptation permet cependant au poisson de survivre dans une eau au pH trop acide ou basique, excessivement salée, pauvre en oxygène ou trop chaude.

Par Andriatiana RakotomangaMis à jour le 19/07/2018