Billes plastiques : l'invasion silencieuse des larmes de sirène
Leur appellation évoque mystère et romantisme et peuple l'imagination de mythes et de légendes, mais à vrai dire, les larmes de sirène n'ont de romanesque que leur nom. À l'instar des autres formes de pollution plastique et peut-être même plus, elles empoisonnent doucement mais sûrement nos océans.
Un pur produit industriel
Les sirènes, dit-on, pleurent des perles et effectivement, cela aurait pu être ces granulés parfois multicolores que l'on voit de plus en plus souvent cachés ici et là au creux de nos plages. En réalité, vous vous en doutez bien, ils n'ont rien à voir avec le mythe des sirènes : ce sont des granulés plastiques, des micro-billes qui font entre 1 et 5 millimètres de diamètre. Elles sont fabriquées avec du polypropylène, du polychlorure de vinyle ou tout autre polymère thermoplastique à la dénomination barbare.
Les larmes de sirène, appelées nurdles en anglais et dans le jargon de la plasturgie, sont des produits semi-finis qui sont à la base des plastiques utilisés dans notre quotidien. Des bouteilles en plastique aux sacs en passant par les boîtes à vivre et les jouets, tous sont donc fabriqués à partir de ces drôles de perles qui envahissent nos littoraux.
Aux origines de la pollution
On est plus au fait aujourd'hui de la pollution engendrée par les déchets plastiques que nous produisons que de celle causée par les larmes de sirène. En cause, la relative discrétion avec laquelle ces granulés arrivent dans la nature.
Les principales sources de rejet de larmes de sirène sont les naufrages, les accidents lors de leur transport, mais aussi les déversements depuis les usines, qu'ils soient involontaires ou non. Autre source importante : les activités de sablage qui consistent à propulser un média abrasif sur une surface afin de la nettoyer, de la polir ou de la décaper. Parmi les médias populaires, on vous le donne dans le mille, des micro-billes de plastique qui sont particulièrement appréciées, car elles n'endommagent pas le matériau traité.
Même si un rejet se fait sur la terre ferme, les microbilles peuvent sans difficulté voyager jusqu'à la mer. Légères et minuscules, elles sont facilement emportées par la pluie et ne sont pas arrêtées par les stations d'épuration. Elles finissent dans les rivières, puis les fleuves et terminent leur vagabondage dans la mer. La Commission européenne a ainsi estimé qu'environ 265 000 granulés plastiques finissent chaque seconde dans nos océans.
Des conséquences néfastes sur la biodiversité
Les larmes de sirène ont colonisé tous les océans du monde et toutes les plages. Elles sont surtout visibles là où une industrie plasturgique a été développée, mais, portées par les courants, ces petites billes n'hésitent pas à traverser les océans pour envahir de nouveaux espaces. Sur le chemin, elles absorbent des polluants bio persistants ainsi que des métaux lourds qu'elles retiennent comme des éponges. Elles les restituent ensuite lorsqu'elles sont mangées par des animaux qui les confondent avec leur nourriture.
Les produits chimiques absorbés par les larmes de sirène (pesticides, PCB, etc.) peuvent également remonter la chaîne alimentaire, se concentrant à chaque étage. C'est ainsi que du poisson farci au plastique et aux polluants organiques peut soudainement arriver dans notre assiette. En gobant les larmes de sirène, les animaux marins se remplissent également l'estomac de matière indigérable, et même non excrétable pour certaines espèces. L'animal est alors condamné à mourir de faim, le ventre rempli de matière plastique.
Les larmes de sirène que nous remarquons sur nos plages ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Il suffit d'ailleurs parfois d'une forte marée pour qu'elles disparaissent. Mais ne vous y fiez pas, les granulés sont toujours là, dans la mer et ses profondeurs où ils feront le plus de dégâts. Pour s'en débarrasser sur les plages, il n'y a pas de secrets, on se penche et on ramasse. Un geste citoyen à la portée de tous.