Tifnit, célèbre petit village de pêcheurs du sud marocain, a été totalement rasé

Tifnit était un paisible petit village de pêcheurs situé à quelques dizaines de kilomètres au sud de la ville d'Agadir, dans le Parc National du Souss Massa, au sein d'une réserve ornithologique. L'ibis chauve, en voie d'extinction, y est hautement surveillé et protégé.
Ce petit bourg, composé de quelques maisons juchées en désordre sur la corniche, était considéré comme l'un des derniers villages de pêcheurs authentiques du Maroc. Les jolies barques bleues s'éparpillaient pêle-mêle en contrebas. Ceux qui y habitaient goûtaient au bonheur de vivre, les autres venaient s'y détendre, pêcher, ramasser des moules ou encore surfer sur la côte marocaine. La renommée de Tifnit dépasse les frontières du Maroc et même du continent.
Des maisons bâties selon des règles opaques
Oui, mais voilà ! Les maisons qui le composaient étaient dites « sans titres ». C'est-à-dire qu'aucune n'avait été construite dans les règles. Même si plusieurs générations de pêcheurs s'y sont déjà succédé. Il se trouve que, durant des décennies, les Marocains avaient pour habitude de bâtir leurs demeures sans aucune autorisation sur des terrains qui leur appartenaient… ou pas. Cela, n'importe où ! Mais les choses évoluent et le royaume tente de remettre de l'ordre dans tout cela. C'est ainsi que des expulsions ont lieu régulièrement, parfois de quartiers entiers ou à tout le moins, d'un groupe de maisons.
À Tifnit, toutes les habitations avaient été bâties sur le domaine public. Les autorités avaient donc toute latitude pour en exiger la restitution et la remise en état du site. Mais il semblerait que certains habitants possédaient un « numéro », comprendre une autorisation officielle pour y construire et y séjourner. D'autres non, ayant véritablement construit illégalement.
Cinq jours pour détruire et partir
Ainsi, début décembre 2023, certains habitants, mais pas tous, ont reçu un avis d'expulsion. Avec injonction de « remettre les lieux dans leur état d'origine » c'est-à-dire… les détruire eux-mêmes, dans les cinq jours qui suivent. Un émoi bien compréhensible s'est alors propagé parmi les occupants de ce petit village de pêcheurs d'habitude si tranquille.
Toutes sortes d'informations ont circulé durant une quinzaine de jours, dont il était difficile de certifier l'origine. Les titulaires du précieux « numéro » pensaient passer à travers les mailles du filet, à juste titre. Ils attendaient donc, avec une relative sérénité. Il se dit qu'un énorme projet immobilier est envisagé, afin d'élargir l'offre touristique dans la province de Chtouka ait Baha. La version officielle est tout autre : le village étant dans une zone protégée, il aurait été décidé que l'endroit devait retrouver son aspect initial.
Les habitants ont malgré tout tenté de résister, manifester et pétitionner. Les nombreux étrangers, vivant dans le royaume ou non, amoureux du Maroc authentique, les ont appuyés. Tous étant totalement abasourdis. On y croyait encore, car cela semblait inconcevable. Certains avaient cependant pris sur eux en commençant à détruire leurs jolies maisons. Un spectacle qui fendait le cœur, même si celles-ci étaient illégalement construites.
Une intervention militaire pour casser le village
Mais au Maroc, ce que disent les autorités est souvent à prendre au pied de la lettre. Et celles-ci ont laissé très peu de temps aux habitants pour se retourner et intenter une éventuelle action en justice. Fin décembre, les habitants toujours sur place, y compris la trentaine de résidents étrangers habitant le village, ont été expulsés par les militaires. Et carrément empêchés de récupérer certaines de leurs affaires. Puis, en moins de trois jours, les bulldozers ont fait disparaître à jamais un joyau de la côte Atlantique, sans remords.
Spectacle de désolation que cet immense tas de gravats dominant l'océan, surmonté d'un panache de poussière qui n'en finit pas de retomber. Une odeur de maison ancienne flotte dans l'air. On peut croiser quelques habitants hagards, le regard dans le vide. L'un d'eux nous raconte avoir détruit son habitation et bivouaquer depuis dans les dunes non loin, fataliste et philosophe.
Dans ce décor tragique, on croise quelques touristes égarés, qui se demandent ce qu'il se passe, car personne n'est au courant. « On est venus il y a moins d'une semaine boire le thé chez Maxims » explique cette Anglaise, campant à quelques kilomètres. « Où est le village, que s'est-il passé ? ». Des Français adeptes du surf, arrivant de Sidi Ifni, demandent incongrument s'il est possible de trouver un couchage sur place. Désolé, mais non, plus depuis trois jours…
Jusqu'au bout, nombreux sont ceux qui ont cru que, au-delà de l'aspect légal, une alternative allait être trouvée. En considération de l'humain autant que du patrimoine que représentait ce village. Malheureusement, les enjeux financiers, ici comme ailleurs, auront eu raison autant des habitants que des vieilles pierres historiques… et les charmantes petites maisons de ce petit coin de paradis n'ont pas trouvé grâce aux yeux des donneurs d'ordres. Et, comme si les centaines de maisons détruites par le tremblement de terre d'El Haouz début septembre ne suffisaient pas, les autorités ont effectué un travail encore plus systématique à Tifnit. Inexplicable et désolant.
Fin de tifnit
par Bessas, le 20/10/2024
J'adorerais ce petit village où nous sommes allés en famille, passés en camping-car. Reste heureusement de très belles photos dans mes pensées.