L'île française de Clipperton, l'atoll le plus isolé du monde

Les petits bouts de France s'éparpillent aux quatre coins du monde, sous à peu près toutes les latitudes. Mais s'il en est un qui est peu connu et hors du commun, c'est bien l'île de Clipperton. Ce minuscule territoire perdu dans le Pacifique nord a bien des appellations, d'ailleurs. Île de La Passion, Passion-Clipperton, Clipperton ou île de Clipperton désignent le même petit atoll, à un millier de kilomètres du continent le plus proche, l'Amérique centrale. Elle a beau être toute petite, elle possède une histoire insolite que nous nous proposons de vous raconter.

Les caractéristiques étonnantes de l'île de Clipperton

Il s'agit d'un atoll corallien dont la surface émergée ne dépasse pas 1,7 kilomètre. Elle compte 12 kilomètres de plages et un diamètre de 2,4 à 3,9 km. C'est l'unique pointe émergée de la dorsale Est-Pacifique, constituée de volcans et de monts sous-marins. Son point culminant est de seulement 29 mètres, alors que son altitude ne dépasse pas les 4 mètres.

Cet atoll recèle une particularité unique au monde : il encercle en effet un lagon d'eau douce. Celui-ci est parsemé d'une dizaine d'îlots sur une surface d'environ 710 hectares.

L'île de Clipperton, dans les outre-mer, tout là-bas

Si le point Némo est le secteur le plus éloigné de toute terre émergée, l'île de la Passion est, quant à elle, la terre émergée la plus isolée du monde. Située à 945 kilomètres de l'île de Socorro, dans l'archipel mexicain des Revillagigedo, Clipperton est à 1 081 kilomètres des côtes continentales les plus proches, au Mexique.

Pour vous y rendre, il vaut mieux vous munir d'un bon système de navigation, même en possédant ses coordonnées précises. Celles-ci sont : 10° 17' 38'' N, 109° 13' 02'' O. L'atoll est ainsi bien loin des premières terres françaises que sont les îles de la Polynésie française, dans le Pacifique sud. Nuku Hiva, dans les îles Marquises, est à 4 015 kilomètres environ.

Une position stratégique dans le Pacifique

Mais pourquoi donc la France s'accroche-t-elle à ce petit bout de terre en plein océan Pacifique ? Comme bien souvent dans ce genre de cas, il s'agit d'un intérêt stratégique, puisqu'elle se situe face à l'isthme de Panama, une étroite bande de terres située entre la mer des Caraïbes et l'océan Pacifique. En outre, rappelons-le, elle constitue la seule possession française dans cette partie du monde. Cela agrandit par ailleurs son domaine maritime.

C'est notamment pour cela que l'île a été l'objet de tant de disputes. Même si elle a probablement été découverte par un Espagnol en 1528, lors d'une expédition commandée par Hernán Cortés. Cette version est d'ailleurs controversée et d'autres prétendent que c'est le fait de Magellan en 1521, voire d'un flibustier anglais du nom de… Clipperton, en 1704 !

Ce qui est sûr, c'est que le premier débarquement attesté a été effectué par des Français. Mathieu Martin de Chassiron, commandant la frégate "La Princesse" et Michel Dubocage commandant la frégate "La Découverte", posent les pieds sur l'atoll le 3 avril 1711. C'est ensuite en 1858 seulement qu'elle est annexée officiellement par Victor Édouard Le Coat de Kerveguen au nom de la France. Un décret de l'empereur Napoléon III est publié le 17 novembre de cette année-là.

Les États-Unis et le Mexique disputent le territoire à la France, y prélevant du guano, dont la richesse en phosphate constitue l'autre attrait de l'île. La souveraineté définitive de la France ne sera reconnue internationalement que le 28 janvier 1931, au terme d'âpres discussions. Ce qui n'empêchera pas les Américains de s'y installer en 1944, aménageant même une piste d'atterrissage. Devant les protestations de la France, ils rétrocéderont le territoire en mars 1945. Quant au Mexique, il n'acceptera de reconnaître la souveraineté française qu'en 1959.

La Convention internationale sur le droit à la mer adoptée en 1982 confère à la France le contrôle et l'exploitation d'une vaste zone économique exclusive (ZEE) s'élevant à 435 612 kilomètres carrés. Ce qui correspond à un rayon d'environ 200 milles nautiques.

Non habitée, l'île a accueilli quelques résidents provisoires

Même si les habitants les plus fidèles sont des colonies importantes d'oiseaux marins, de crabes terrestres et de rats, quelques humains y ont séjourné. De façon pas très heureuse parfois.

À l'instar de cette petite garnison placée là par le Mexique en 1907, avec femmes et enfants. Ils se sont retrouvés livrés à eux-mêmes après la destruction de leur potager par un cyclone. L'absence de ravitaillement mènera à des disettes et rivalités. La mort faisant des ravages, ne resteront à la fin que le gardien du phare, des femmes et des enfants. Le seul homme de la colonie s'autoproclamera alors roi de l'île, abusant de son pouvoir tyrannique sur tous les plans. Jusqu'à ce qu'il soit assassiné par deux de ses victimes. Les 11 survivants, exclusivement des femmes et des enfants donc, sont extraits de cet enfer en 1917 par l'USS Yorktown, battant pavillon britannique. On se souvient d'eux comme étant « les oubliés de Clipperton ».

L'île est assez inhospitalière et il est difficile d'y débarquer. Ses seuls occupants sont provisoires : détachements de l'Armée française venant régulièrement réaffirmer la souveraineté hexagonale, aventuriers et chercheurs notamment.


Photo : Anthony Tchékémian, maître de conférence en géographie à l'UPF

Salut au drapeau et entretien de la stèle annuels

Afin d'assurer la continuité de sa souveraineté, la France est tenue d'y assurer une présence régulière. À défaut d'y séjourner, un détachement de la Marine nationale effectue des patrouilles périodiques. L'île est inspectée de fond en comble, afin de s'assurer que la suprématie hexagonale n'est pas mise en danger. Elle peut parfois servir de cache à du trafic de stupéfiants.

Une fois l'an, les marins repeignent respectueusement la stèle supportant le pavillon de la France. Celui-ci est remplacé et hissé cérémonieusement, après que les marins ont revêtu leurs uniformes de cérémonie sur place, comme ils le peuvent.

Un territoire isolé, témoin des changements écologiques

Qui croirait qu'une île perdue au milieu d'un océan puisse subir autant de pollution ? Et pourtant ! À l'instar de l'île d'Henderson, les plages de Passion sont parsemées d'un nombre impressionnant de déchets, en majorité du plastique. Les différents visiteurs s'évertuent à les nettoyer, mais cela revient à tenter de vider un océan à la petite cuillère.

Par ailleurs, la population animale évolue et l'île voit des rivalités interspécifiques. La colonie surnuméraire de crabes qui décimait la végétation est entrée en rivalité avec les rats. Ceux-ci ayant été introduits à la suite de deux naufrages survenus dans les années 2000. Faisant des crustacés leur principal moyen de subsistance, ils en ont fortement réduit l'effectif. Conséquence inattendue, un tapis vert est réapparu, composé essentiellement d'ipomées.

La population aviaire marine est nombreuse. On y trouve notamment la Sterne fuligineuse, la Gygis blanche, le Fou masqué, le Fou brun, le Noddi brun, le Noddi noir ainsi que la Frégate du Pacifique. Certains oiseaux migrateurs terrestres y font également halte. Clipperton a été classée comme importante zone ornithologique par Birdlife International – Data Zone.

Le mouvement des bancs de sable est par ailleurs observé avec attention. Il pourrait mener à une réouverture de l'atoll dans le futur.

Des expéditions d'exploration parfois surprenantes

Ce territoire attire parfois de drôles d'explorateurs. Si bien sûr Clipperton a intéressé des équipes et explorateurs illustres comme Cousteau ou Paul-Émile Victor, d'autres, moins connus, s'y installent temporairement aussi. À l'instar de ces radioamateurs passionnés, venus dans le but de battre le record du monde du nombre de contacts. Ou ce couple de jeunes Bretons venus hisser le pavillon de leur région au nom de leur grand-mère. Mais la faune et la flore restent les principaux centres d'intérêt des visiteurs.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'île possède un code postal. Il s'agit du 98799. Au cas où vous décideriez d'y envoyer une carte postale. Seule la Marine nationale serait apte à en faire la distribution éventuellement !