Des algues artificielles contre l'érosion des plages
Les algues artificielles mises en œuvre pour restaurer ou recréer des plages, peuvent sur le littoral méditerranéen remplacer l’action de l’herbier de Posidonie (Posidonia oceanica) dans des secteurs proches du littoral où il a disparu, enseveli sous les aménagements gagnés sur le DPM, ou au-delà, par ennoyage sous les particules sédimentaires déposées par l’ouvrage. Celles-ci créent une forte turbidité qui supprime la photosynthèse, et provoque la régression de la prairie sous-marine par sa limite inférieure.
Les modules artificiels disposés selon un schéma tenant comptent de l’hydrodynamisme et de la nature du sédiment, peuvent jouer le rôle d’un récif-barrière de Posidonie. Il ne persiste plus beaucoup de ces récifs barrières sur le littoral méditerranéen français, la plupart ayant été ensevelis sous les aménagements de l’infralittoral (entre 0 et 20 m de fond), et la restructuration des rivages. Or ces récifs jouaient un rôle primordial dans la protection du liseré côtier et des plages. Avec leur disparition, les plages régressent et sont donc "engraissées" avec du gravier ou du tout-venant de carrière qui, non seulement ne présentent pas les caractéristiques d’un sable marin, mais sont souvent polluants.
L'action d’un récif naturel de Posidonie
La prairie de "Posidonia oceanica", principal écosystème du littoral méditerranéen, est un lieu de reproduction pour de très nombreuses espèces qui alimentent la pêche professionnelle. C’est aussi un garde-manger pour ces espèces qui trouvent là une nourriture adaptée, constituée par de petits organismes vivant sur et entre les feuilles des posidonies, mais également dans les rhizomes et le sédiment. C’est enfin le "poumon de la mer" produisant l’oxygène vital pour tous les organismes qu’elle abrite. En effet, un mètre carré de Posidonies produit 10 à 14 litres d’oxygène par jour, c’est à dire deux fois plus que la même surface de forêt vierge.
D’autre part, la Posidonie se reproduit par multiplication de ses rhizomes, tiges souterraines qui serpentent dans le sédiment. Or, pour que ces rhizomes poussent d’un mètre, dans des conditions naturelles, il faut…100 ans ! La destruction de l’herbier, à l’échelle humaine, est donc irréversible. Les rhizomes croissent à l’horizontale et à la verticale. Ils piègent ainsi les particules sédimentaires les plus grossières qui colmatent les mailles des rhizomes, et constituent ainsi de véritables terrasses sous-marines : les mattes. Ces mattes se rapprochant de la surface édifient un récif barrière qui brise la houle.
Les frondes des posidonies filtrent les particules les plus fines qui vont se déposer en retrait et constituer un sol meuble favorable au développement d’autres espèces végétales, formant une plage sur le liseré côtier.
L'édification d’un récif barrière par les algues artificielles
Comme dans le cas des récifs naturels, les algues artificielles vont fixer les sédiments les plus grossiers, qui vont édifier une véritable terrasse sous-marine. Celle-ci va permettre l’installation progressive d’organismes divers : bactéries, protozoaires, algues, vers… qui vont attirer d’autres organismes animaux (mollusques, crustacés, poissons). Ainsi se reconstitue une chaîne alimentaire complète qui va enrichir le milieu. Un nouvel écosystème voit le jour. Ce véritable "récif artificiel" est la réplique benthique des DCP pélagiques (Dispositifs de Concentration de Poissons) installés en zones tropicales pour préserver les récifs de coraux (Océan Indien, Océan Pacifique). Eux aussi reconstituent des chaînes alimentaires complètes exploitées par les pêcheurs locaux.
La fixation des organismes marins par les algues artificielles, outre l’amélioration de la productivité littorale et l’augmentation de la biomasse organique, va permettre la production et l’étude de diverses molécules pouvant alimenter la pharmacopée, la médecine, les industries agro-alimentaires, ainsi que le traitement de certaines pollutions marines.
Une amélioration de la productivité et de la biomasse
Dans certaines zones littorales agressées par les aménagements traditionnels (endigages, épis rocheux, plates-formes, plages artificielles gagnés sur le DPM), l’installation de ces modules algaux, permet de reconstituer un écosystème complet, comparable à celui qui existait jadis dans ces secteurs. Ils ont été détruits par les méthodes obsolètes d’aménagement qui mettent en œuvre, aujourd’hui encore, la technique agressive pour le milieu du remblayage. Celle-ci consiste à rejeter à la mer de la terre, des gravats, des matériaux hétéroclites, sur lesquels on construit. La dégradation du milieu se porte au-delà de l’ouvrage lui-même par emport des particules les plus fines (85-90 %), notamment lors des tempêtes. Et ce sont ainsi des milliers d’hectares de posidonies qui sont détruits.
En revanche, la méthode douce d’aménagement par les modules algaux, outre la protection et la reconstitution des plages en retrait, va permettre à certaines espèces de trouver de nouveaux abris, des lieux de reproduction, et une source nouvelle de nourriture. Ceci est vrai aussi bien pour les espèces de pleine eau caractéristiques des herbiers de phanérogames marines (labres, saupes, picarels), que pour les espèces benthiques : rascasses, rougets... D’autres espèces représentatives de divers groupes zoologiques trouveront là un refuge et une nourriture adaptée. C’est le cas des crustacés comme la crevette bouquet ou la grande cigale actuellement protégée en Méditerranée.
C’est le cas aussi d’un coquillage, le plus grand au monde avec le bénitier tropical et qui est endémique de la Méditerranée : la grande nacre Pinna nobilis qui peut atteindre 1,20 m de hauteur et qui vit fichée dans le sédiment par son extrémité antérieure. Elle participe à la fixation des sédiments au même titre que l’herbier de Posidonie auquel elle est inféodée. Sa longévité est exceptionnelle pour un coquillage : 40 ans.
Vers la production de nouvelles molécules
Il est reconnu que les organismes invertébrés marins sont des sources inépuisables de molécules intéressant la pharmacie, la médecine et la dentisterie. Dans ce dernier domaine, le squelette de certains coraux méditerranéens peut être utilisé pour la fabrication de prothèses dentaires.
Des substances telles que les prostaglandines, des anti-inflammatoires, des vitamines abondent chez les mollusques et les vers. La chitine des crustacés est un polysaccharide qui peut être assimilé à la cellulose dont elle présente de nombreuses propriétés. Enfin, certaines peuvent permettre de diversifier les productions aquacoles.
Les travaux de nombreux organismes de recherche sur les biomasses marines, qu’il s’agisse d’exploitation alimentaire, cosmétique ou thérapeutique, font appel aux biotechnologies. Sur tout nouveau support placé dans le milieu marin, les premiers organismes qui se fixent sont des bactéries et des algues microscopiques benthiques : les diatomées. De nouvelles molécules peuvent être extraites de ces algues siliceuses qui se développent en milieu benthique littoral. Les diatomées sont des organismes unicellulaires caractérisés par une paroi à deux valves emboîtées et imprégnées de silice hydratée. La silice des diatomées est exploitée comme produit minéral. Après leur mort, elles forment des sédiments connus sous des noms divers (tripoli, diatomite...), utilisés pour leurs propriétés abrasives, absorbantes et isolantes. Elles renferment également un résidu protéique permettant la datation des sédiments. Ce sont des indicateurs biologiques de leur environnement. Leur concentration dans le milieu, permet d’en évaluer la qualité, le pH et la teneur en phosphates des eaux dans lesquelles elles forment des dépôts.
Des études récentes ont montré la corrélation entre la variété des sédiments en diatomées et la température ambiante au moment de leur formation. La datation des sédiments est importante pour la détermination d’événements géologique ou climatiques. Les algues de grande taille, comme les algues brunes par exemple renferment des produits actifs dans le domaine cardiovasculaire. Il s’agit de polysaccharides sulfatés de type fucanes. Ils sont connus comme anticoagulants et antithrombotique. Par ailleurs, elles sont source d’alginates, tout comme les algues rouges qui par ailleurs produisent des carraghénanes utilisés pour la fabrication des cosmétiques.
En Europe, les produits commerciaux issus de molécules extraites d’organismes marins restent limités de nos jours, alors que la cosmétique, la diététique, la pharmacie, affichent une demande croissante. Pourtant la diversité moléculaire existe dans la mer. C’est un gisement énorme de matière première et l’implantation des modules algaux artificiels ne peut que contribuer à le préserver et à augmenter sa production.