La baie de San Juan, clé de la défense de Porto Rico

Dès la fin du XVe siècle, l'Espagne a conquis de nombreux territoires dans le Nouveau Monde, dont Porto Rico était l'une des principales portes d'entrée. Devant les appétits des autres puissances coloniales, sa capitale, San Juan, est devenue une forteresse de premier plan. Typique de l'architecture européenne aux Amériques, et jouissant d'un excellent état de conservation, elle a été élevée au rang de Patrimoine Mondial de l'Humanité par l'Unesco.
La baie de San Juan, clé de la défense de Porto RicoPhoto : AndPon

Porto Rico (en français), ou Puerto Rico (en espagnol et en anglais) est connu pour beaucoup comme la patrie natale de Ricky Martin. Cet "État libre non-incorporé des États-Unis", qui fait pourtant partie des USA tout en conservant une certaine autonomie, possède une histoire et un patrimoine fabuleux, qui nous rappellent le temps des corsaires et des grands navigateurs.

Un avant-poste espagnol aux Antilles

Avant l'arrivée des Espagnols, la population indigène de l'île était de culture Taïbo. Le premier européen à avoir posé le pied sur l'île est Christophe Colomb lors de son deuxième voyage, en 1493, en la baptisant "San Juan Bautista". En 1509, un conquistador, Juan Ponce de León, a baptisé la baie de la future capitale "Puerto Rico". Par l'une de ces curiosités dont l'histoire a le secret, l'île et la ville qui en deviendra la capitale ont échangé leurs noms.

A l'époque coloniale espagnole, Porto Rico était située sur les principales routes maritimes entre l'Amérique Centrale et le nord de l'Amérique du Sud d'une part, et l'Europe d'autre part. Cette capitale allait vite devenir un important centre d'exportation des richesses des nouveaux territoires espagnols. La couronne d'Espagne devait donc impérativement protéger ce port de première importance face aux autres puissances coloniales qui convoitaient la région, notamment les Britanniques et les Hollandais. Au point que San Juan est devenue la principale place forte des Amériques : pas moins de 450 canons la défendaient à la fin du XVIIIe siècle.

La Baie de San Juan, ses forts et ses remparts

Le premier centre de population, connu sous le nom de "Viejo San Juan" et qui est situé tout au nord de l'actuelle agglomération, est placé sur la rive occidentale d'un îlot qui constitue une des barrières naturelles fermant la baie. Ladite baie couvre une surface de 33,5 km² (contre 42 km² pour la grande rade de Toulon à titre de comparaison). C'est donc un endroit idéal pour pouvoir amarrer en toute sécurité un grand nombre de navires.

Mais encore faut-il protéger ce site contre un envahisseur potentiellement en supériorité numérique. Le site est donc tout naturellement fortifié par les Espagnols.

La baie de San Juan comporte cinq éléments protégés au titre du Patrimoine Mondial de l'Unesco. Ces sites ont été protégés car ils sont représentatifs de l'adaptation au contexte des caraïbes de l'architecture militaire européenne du XVIe au XXe siècle.

La Fortaleza
Cette forteresse, aussi connue sous le nom de "Palacio de Santa Catalina" est remarquable à plus d'un titre. De type médiéval, c'est la première forteresse à avoir été construite à San Juan, dès 1533. Initialement destinée à se protéger des attaques des indigènes, elle a rapidement été considérée comme obsolète, d'autant plus que son emplacement était loin d'être optimal pour protéger l'entrée de la baie. La Fortaleza a donc rapidement été transformée en résidence du gouverneur de Porto Rico, ce qu'elle est toujours à l'heure actuelle. C'est même d'ailleurs la plus ancienne résidence officielle des Amériques puisque le gouverneur de Porto Rico, sous les différentes appellations qui lui ont été attribuées au cours de l'histoire, y est installé depuis 1640.

San Felipe del Morro
Ce fort est le gardien de l'entrée dans la baie, accompagné dans cette mission par El Morro, de l'autre côté du goulet. Les travaux ont commencé en 1630 mais ce n'est que vers 1678 qu'il a commencé à prendre sa forme actuelle. C'est le plus emblématique des forts de San Juan, le préféré des touristes et des locaux pour son panorama ainsi que pour ses expositions de divers objets coloniaux et indigènes. C'est surtout celui qui s'est le plus illustré au cours de l'histoire.

San Cristóbal
Ce fort a une superficie de près de 11 hectares, ce qui en fait le plus grand fort construit par l'Espagne aux Amériques. A la différence des autres forts qui protégeaient la baie des attaques depuis la mer, San Cristóbal a été construit pour faire face aux assauts côté terre. Ce fort, érigé en 1783, est intégré à l'enceinte urbaine de San Juan.

San Juan de la Cruz
Plus connu sous le nom de "El Cañuelo", ce fortin de forme carrée est doté d'une plateforme d'artillerie et d'une échauguette caractéristique de cette époque. Ses dimensions sont très modestes (environ 20m de côté) car lors de sa construction en 1670, il était situé sur un îlot qui a depuis été artificiellement réuni avec l'île aux Chèvres. El Cañuelo est situé de l'autre côté du goulet de la baie de San Juan, croisant ainsi ses tirs avec ceux de San Felipe del Morro situé juste en face.

Les remparts
Construits pour l'essentiel entre 1634 et 1650, les 4,5 km de remparts ont cependant connu de nombreuses évolutions ultérieures. D'une hauteur de 13 mètres, il étaient pourvus d'une vingtaine de bastions et de six portes. Même si le manque d'entretien, les intempéries et les ouragans ont eu raison de certains éléments, et même si la partie sud-est de la muraille, à proximité du castillo San Cristóbal a été dynamitée à partir de 1897 sur décret de la reine d'Espagne Marie-Christine pour permettre l'extension de la ville, la majeure partie enserre toujours le Vieux San Juan.

Des six portes de la ville, seule la porte San Juan existe encore de nos jours. Construite face à la baie, son principal rôle était d'accueillir les visiteurs de marque.

San Juan

Les fortifications de San Juan dans l'Histoire

Les fortifications de San Juan ne se sont pas contentées d'un rôle de prestige et d'affirmation de la puissance espagnole dans la région. Elles ont connu plusieurs engagements guerriers.

Le premier d'entre eux a eu lieu en 1595, en pleine guerre anglo-espagnole. Une flotte de guerre britannique commandée par Francis Drake a tenté de prendre San Juan par la force. L'attaque a été vaine et la flotte a dû rebrousser son chemin, non sans qu'un boulet de San Felipe del Morro ne transperce de part en part la cabine du navire de Francis Drake lui-même. Quelques années plus tard, en 1625, un débarquement hollandais a eu lieu. Les troupes bataves ont finalement dû battre en retraite sous les feux de San Felipe del Morro, non sans avoir pillé et incendié préalablement la ville. En 1797, c'est une nouvelle attaque anglaise qui est repoussée.

Le tournant s'est réalisé durant la guerre hispano-américaine de 1898. Des échanges de tirs ont eu lieu sur terre et sur mer entre les différentes forteresses et les troupes des États-Unis. L'affaire s'est conclue par un armistice à l'issue duquel Porto-Rico est passé sous souveraineté américaine.

A cette époque, l'ère de la fortification bastionnée était révolue et le dispositif existant était devenu obsolète face aux nouvelles munitions et machines de guerre. A défaut de recourir à nouveau à la fortification permanente comme il s'en construisait en Europe, les États-Unis ont mis en place des installations plus légères, notamment des emplacements pour des pièces d'artillerie côtière plus modernes, en batteries à l'air libre.

De même, lors de la 2nde guerre mondiale, un certain nombre de batteries et, d'observatoires d'artillerie, d'abris, de bunkers, de tunnels et de nombreuses autres installations militaires ont été mis en place autour de San Juan.

L'intégralité du patrimoine fortifié de San Juan n'est pas protégée par l'Unesco (car il existe des dizaines d'autres sites de moindre importance). Il s'en est fallu cependant de peu pour que tout ceci ne disparaisse pour de bon, car à la fin du XIXe siècle, à Porto Rico comme en Europe, la modernité l'emportait sur les vestiges des temps anciens. Mais fort heureusement l'extension de la ville ne pouvant pas se faire en direction de la mer, toute cette architecture nous est parvenue. Pourquoi ne pas faire de Porto Rico votre prochaine destination ensoleillée ?

Par Charles LorrainPublié le 22/08/2019