L'insoupçonné business du sable

Sans lui, pas de plage, pas de sculptures éphémères au bord de la mer, pas de plaisir à marcher pieds nus dans les dunes. Mais le sable, c'est aussi une affaire sérieuse, un bien stratégique au centre d'un business si intense que la survie de villes entières dépend de lui.
L'insoupçonné business du sable

Selon le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), la quantité de sable consommée dans le monde tournerait autour de 40 à 50 milliards de tonnes par an. Cela en fait la ressource naturelle la plus utilisée au monde. Pas étonnant alors à ce que le sable soit devenu aujourd'hui une composante essentielle à notre vie moderne et même une composante vitale pour certains pays.

Une ressource incontournable

On n'y pense pas, mais le sable ne se retrouve pas uniquement à la plage. Béton, verre ou encore ciment, il est partout dans nos villes, dans chaque construction et même dans l'asphalte avec lequel nous pavons nos routes modernes. On en trouve aussi dans nos smartphones et nos ordinateurs, car oui, la silice que l'on retrouve en grande quantité dans le sable est très utile pour fabriquer les microprocesseurs.

Mais ce n'est pas tout. Le sable est aussi utilisé dans les détergents, dans certains cosmétiques, ou encore dans la fabrication de cellules photovoltaïques. Très logiquement cependant, c'est le secteur de la construction qui s'en accapare la majorité (70%), et avec l'expansion urbaine et la folie des grandeurs qui caractérisent désormais notre monde, ce marché est tout simplement gigantesque : en 2018, il a pesé pas moins de 200 milliards de dollars. Ce chiffre est évidemment en pleine croissance, tiré vers le haut par l'appétit gargantuesque des pays émergents d'Asie.

L'Asie, la plaque tournante du business du sable

Sans surprise, avec des milliers de méga-projets immobiliers sur son territoire, c'est la Chine qui est la plus grande consommatrice de sable au monde. A lui tout seul, le Céleste Empire engloutit 58% de la production mondiale et, en à peine 2 ans, en 2016 et 2017, il aura utilisé autant de ciment que les États-Unis durant tout le 20e siècle.

Mais la Chine n'est pas la seule à avoir de l'appétit. A son sud-est, Singapour, la cité-état insulaire, s'est rapidement sentie à l'étroit sur ses 527 km². Elle a commencé à s'étendre sur l'océan en rasant ses collines et en les déversant dans la mer. Mais très vite, cela ne fut plus suffisant et il fallut importer du sable pour répondre aux besoins d'agrandissement de la cité. Aujourd'hui, 24% de son territoire a été repris à la mer et ce n'est pas près de s'arrêter.

A la voracité de la Chine et de Singapour s'ajoutent les besoins d'autres états comme l'Inde, le Japon, les Philippines ou encore la Corée du Sud. Au final, cela fait de l'Asie le premier marché du sable et pas étonnant alors à ce que les principaux fournisseurs s'y trouvent aussi : le Bangladesh, le Myanmar, le Sri Lanka, ou encore le Cambodge. Ce dernier est d'ailleurs le principal exportateur de sable du secteur, une chose qui n'a pas de quoi rendre fier tant les répercussions sont tragiques.

Un business destructeur

Le sable qu'utilise Singapour et Hong-Kong pour étendre leurs territoires, celui qu'a utilisé Dubaï pour construire ses Palm Islands, ou encore qu'a employé la Chine pour son barrage des Trois-Gorges proviennent de bords de mer et de rivières. Mais gratter ainsi le fond de l'eau n'est pas sans conséquence : quand le lit d'une rivière passe de 3 mètres de profondeur à 10, non seulement la faune et la flore sont bouleversées, mais le débit de l'eau accélère aussi, augmentant de concert l'érosion des berges et les risques d'inondation.

En bord de mer, l'extraction du sable affaiblit le littoral, faisant reculer le rivage. A l'échelle mondiale, les scientifiques estiment que ce sont 75 à 90% des plages qui reculent petit à petit à cause de l'extraction de sable. En Indonésie, qui a interdit depuis 2008 l'exportation de son sable, ce sont carrément 7 îles qui ont disparu !

Les nuages de sédiments et de boue soulevés par le raclage des grues empêchent les rayons de soleil de passer, ce qui, en plus d'empêcher la photosynthèse, fait baisser la température de l'eau. Cela contribue à créer des zones mortes avec pour résultat de diminuer les rentrées d'argent des pêcheurs locaux. Au Cambodge, les villages de pêcheurs se dépeuplent à mesure que le business du sable tue leur moyen de subsistance. Quand ce ne sont pas carrément leurs habitations qui échouent dans une rivière à cause de la fragilisation des berges.

Enfin, conséquence logique quand une activité très lucrative apparaît quelque part et qu'elle est mal encadrée, la corruption est venue gangrener l'activité, sans parler de l'accaparement des richesses et des exportations illégales. C'est le cas par exemple au Cambodge, en Malaisie ou encore au Vietnam, où, malgré des lois strictes, voire des interdictions claires, le trafic de sable bat son plein. En Inde, au Maroc et au Sénégal, ce business, décidément juteux, est même entre les mains d'une mafia...

Mais ce que tout ce beau monde semble oublier, c'est que le sable n'est pas inépuisable. A force de l'exploiter à l'extrême, l'irréparable finira par arriver.

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Par Andriatiana RakotomangaMis à jour le 17/05/2019